L'Algérie affronte la crise du Covid-19 dans une conjoncture particulière : un mouvement de protestation, entamé depuis février 2019, a écarté les dirigeants au pouvoir et maintient une pression de rue pour exiger des réformes profondes, voire même une refonte ou un changement radical du régime politique.
A l'aune de ce contexte difficile, il y a lieu de s'interroger sur les effets de la pandémie du Covid-19 au plan socioéconomique pour le pays. Une menace de plus ou une belle aubaine ? L'avenir proche ne tardera pas à en fournir la réponse !
La pandémie du Coronavirus n'affecte pas seulement la santé des individus. La courbe des décès, partant en exponentielle aux premiers jours de sa propagation en dehors de Wuhan, a vite décliné sous l'effet des mesures barrières et de confinement adoptées par plusieurs pays. C'est par conséquent dans son impact social et économique que cette pandémie mérite d'être observée.
Le Covid-19 a bouleversé les modes de vie, a mis à l'arrêt la machine industrielle mondiale, redistribué les cartes et rappelé aux décideurs du monde entier l’importance des solidarités internationales. C'est un retour aux fondamentaux auquel on assiste !
En Algérie comme ailleurs, le gouvernement tâtonne et trouve des difficultés à arbitrer entre la santé du citoyen et la sauvegarde de ce qui fait office d'appareil productif. Dans le fonds, cela révèle une économie qui navigue à vue et qui se cherche : Quel modèle socioéconomique instituer ? Quelle stratégie industrielle adopter et quelles priorités de réformes engager ?
Le gouvernement algérien, souffrant d'une « dépendance culturelle » aux hydrocarbures, ne sait pas imaginer une démarche sociale ou économique en dehors des richesses du sous-sol. Soumis aux aléas du marché pétrolier et aux fluctuations des cours des énergies fossiles, les équilibres financiers et budgétaires du pays vacillent à la moindre crise. Les tenants du pouvoir qui opèrent réagissent alors en adoptant une régulation financière qui n'est pas toujours gagnante. Les tentatives de captation des "épargnes dormantes", de financement non conventionnel ou de partenariat public-privé, entre autres, se sont toutes soldées par des échecs cuisants.
Si leçon à tirer il y a, c'est que le problème de l'économie algérienne n'est pas d'ordre financier mais d'ordre culturel et philosophique. Le premier magistrat du pays n'a-t-il pas explicitement reconnu que durant des années les lois de finances, complémentaires notamment, étaient conçues pour alimenter les déficits engendrés par la réévaluation des projets et la surfacturation d’importations de l'ordre de 30% (déclarations du Président Abdelmadjid Tebboune face à la presse le 1 avril 2020). Il ne s'agit donc plus de réguler les volumes ou la nature des dépenses mais de mobiliser et de redéployer les ressources nationales.
Dans sa frénésie dépensière et son irrationalité budgétaire, le décideur économique a marginalisé l'humain et l'a réduit à la fonction de consommateur dans son acception la plus restreinte. Son intelligence, sa valeur ajoutée, sa créativité et son rôle régulateur sont mis de côté. L’Algérien, le temps faisant les choses, a perdu les valeurs du travail, de l'innovation et du mérite dans un Etat faussement providentiel. Pour réussir, le projet économique algérien, tant pour le modèle à adopter que pour les perspectives stratégiques à définir, doit mettre le citoyen algérien au centre du processus et lui libérer le champ des initiatives à même de faire de chacun une source de création de valeur ajoutée. Une économie forte ne se limite pas à la force financière de l'Etat mais au bien-être et à l'épanouissement du citoyen. La diaspora est, à ce titre, un terreau de compétences facilement mobilisables pour le renouveau économique et industriel.
Le modèle dépensier adopté par les gouvernements successifs a fait de la commande publique un outil de régulation sociale et politique. Celle-ci a longtemps profité à une minorité d'entrepreneurs et de décideurs. La fracture sociale s'aggrave et les inégalités s'accentuent. Le taux de chômage global dépasse les 12% et va au-delà de 20% chez les diplômés de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Les dispositifs de répartition conçus davantage dans une logique de maintien d'une paix sociale que d'une quelconque stratégie de soutien à l'activité économique, réduisent l'effort volontariste de l'Etat. En outre, malgré les volumes colossaux des transferts sociaux, des subventions, des allègements fiscaux, les politiques sociales de logement, de soutien à la création d'entreprises, ces mesures ne suscitent que mécontentement et révoltes. L'absence de contrôle, la prévarication et la corruption ont a en effet laminé les ambitions de cet effort.
Le gouvernement gagnerait à instituer des mécanismes de redistribution plus ciblés et plus contrôlables. Il conviendrait notamment de rationaliser les fonds spéciaux, d’encadrer les subventions, de décentraliser l'effort de solidarité nationale par l'autonomisation des collectivités locales élues et l'implication des organisations sociales représentatives.
La crise du Coronavirus a mis en lumière les carences en matière de développement humain en Algérie. La précarité du système de santé, la frilosité des dispositifs d'intégration technologique, la rigidité des systèmes de formation et de recherche, de même que l’agonie du secteur des loisirs et de la culture sont autant de défaillances qu’il faudrait combler d'urgence.
La dépense sociale doit se concentrer sur l'amélioration de l'infrastructure de santé, de la couverture sanitaire et de la formation médicale.
L'accentuation de l'intégration technologique mérite d'être poursuivie avec rigueur, notamment dans les services publics et le secteur productif pour assurer la continuité des services aux citoyens et limiter les effets des cataclysmes majeurs auxquels l'économie peut être exposée à l'avenir. Le renforcement des dispositifs de formation et de recherche permettra de développer un capital humain de qualité qui fondera l'économie du savoir de demain.
Épanouir le citoyen par le loisir et la culture exige que l'on développe des infrastructures industrielles dédiées à ces deux aspects importants de la vie.
Par-delà tout, la sécurité alimentaire reste également un défi majeur : le renforcement des réserves stratégiques, la diversification agricole, l'encouragement d'une économie rurale vivrière et de subsistance par l'entrepreneuriat dynamique "débureaucratisé" peuvent être des pistes d'action gagnantes.
La démocratie, à savoir la participation éclairée et dynamique du citoyen à la prise de décision, est la seule voie menant à un développement socioéconomique harmonieux. L'ouverture des champs d'expression au citoyen, lui permettant de jouir pleinement de ses droits fondamentaux et inaliénables, renforcera la cohésion sociale et l'implication du citoyen face aux menaces majeures et aux pandémies. Le rôle déterminant du citoyen dans la prévention, l'organisation des solidarités et la consolidation de la stabilité sociale exigent que soient conçus des cadres et des dispositifs législatifs assurant à ce dernier un accès égalitaire et permanent à l'exercice des droits et à la jouissance des libertés fondamentales.
L'épreuve du Covid-19 a montré les limites des politiques nationales circonstanciées et isolées face aux menaces systémiques et globales. La conjugaison des efforts entre les États de même qu'entre les ensembles régionaux et continentaux, la coordination des efforts internationaux et l'encouragement d'une gouvernance commune des risques majeurs sont plus qu'impératif. L'Algérie gagnerait à revitaliser l'édification de l'ensemble nord-africain et à renforcer la coopération en Méditerranée.
Ceci permettra, à moyen terme, de développer des démarches proactives tant au plan socioéconomique qu'au plan géostratégique pour une meilleure prise en charge des questions environnementales, des risques sécuritaires et de la coopération économique. C'est là aussi la voie idoine pour gérer les questions environnementales et écologiques qui ne manqueront pas de surgir à l'avenir.
En économie comme en politique, aucun débat n'est définitivement tranché. La crise sanitaire a fait comprendre aux gouvernements que c’est au développement qualitatif que tiennent l'harmonie et la stabilité socioéconomique. L’approche walrasienne de l'économie ayant institué le profit financier maximal comme finalité économique, devrait céder la place à des approches plus humaines. Un monde social et solidaire où la performance économique s'accompagne d'une justice sociale est possible. C'est, peut-être là le nouveau paradigme de l’économie de demain ?
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Belkacem Boukherouf, maître-assistant et enseignant chercheur à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Algérie
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