L’épidémie de Coronavirus n’a pas épargné le secteur des médias en Algérie. Le paysage médiatique, composé essentiellement de la presse papier, pourrait connaître une transformation du fait de la crise sanitaire. Une mutation qui nécessite une prise de conscience réelle des professionnels, des éditeurs et des pouvoirs publics.
Exercer le métier de journaliste dans des conditions de pandémie est un acte extrêmement compliqué. Dans le cas de l’Algérie, la situation est d’autant plus complexe du fait du manque de moyens de protection. Démunis face à cette menace, les directions des journaux - qui composent l’essentiel des médias algériens - ont réagi très rapidement dès les premières mesures de distanciations sociales imposées par les autorités au courant du mois de mars. Les journalistes ont été tenus de se confiner et de poursuivre leur activité à partir de leur domicile. En l’espace de quelques jours, la presse algérienne découvrait le télétravail.
Mais ce modèle n’a pu s’appliquer à tous les médias. Dans le secteur de l’audiovisuel, les journalistes sont tenus d’aller sur le terrain pour collecter des images et du son. Pour les « news », il est quasiment impossible de rassembler cette matière à distance. A l’exception des radios et des télévisions publiques qui ont fourni des masques et du gel hydro alcoolique à leurs équipes, les télévisions dites « privées » sont confrontées à l’épineuse question de la protection de leurs personnels. Tous les jours, des journalistes, des techniciens et des chauffeurs travaillent avec le risque d’être contaminés par le Covid-19.
Qu’ils soient en télétravail ou sur le terrain, les journalistes sont tenus de suivre l’évolution du Coronavirus depuis sa première apparition en Algérie. Ils doivent également rapporter des faits concrets au sujet de l’impact de la maladie sur la société et sur l’économie du pays. Pour ce qui est de l’état quotidien de la contagion, les pouvoirs publics ont très rapidement instauré des lignes rouges : aucun médecin, directeur d’hôpital ou directeur local de la santé ne peut rendre public des chiffres relatifs au Covid-19.
La Commission nationale de veille et de suivi de l'évolution de l'épidémie du Coronavirus, composée de scientifiques, est seule habilitée à fournir des données à propos de la maladie. Pour le gouvernement, l’objectif étant d’assurer une communication « la plus transparente, la plus fiable et la plus crédible possible ». Chaque jour à 17h, lors d’une conférence de presse, cette commission présente les statistiques officielles sur l’état d’avancement de la maladie. Sauf que cette conférence de presse n’en est pas réellement une puisque le porte-parole de cette instance se contente d’égrener les nombres de nouveaux cas, les patients rétablies et les décès.
Des journalistes constateront très vite que les autorités prenaient très au sérieux le caractère sensible de l’information sanitaire. Fin mars, le quotidien El-Sawt-el-Akher rendait public la lettre d’un député adressée au wali de Batna dans laquelle il dénonçait une erreur de diagnostic de l’Institut Pasteur d’Alger. Selon l’élu, un patient testé négatif au Covid-19 était en fait porteur du virus, une situation qui aurait provoqué la propagation de la maladie dans sa localité. Après avoir été convoqués par la gendarmerie nationale, deux journalistes et le directeur de cette publication ont été placés sous contrôle judiciaire pour « atteinte à l’unité nationale » et « diffusion de publication pouvant porter atteinte à l’intérêt national » …
Cette affaire démontre à quel point l’exercice de la profession de journaliste est devenu complexe en Algérie. Bien entendu, ces difficultés sont antérieures à la pandémie. Le cas des journalistes Khaled Drarni et Sofiane Merakechi, placés depuis plusieurs semaines en détention préventive, et le blocage de certains médias électroniques viennent également le prouver. Mais le mal est plus profond. La crise multidimensionnelle apparaît au quotidien à travers l’autocensure, les difficultés d’accès aux sources d’information, le refus des rédactions d’aborder certaines thématiques, l’absence de syndicats représentatifs, l’absence de réglementation régissant le secteur de la presse, la baisse du lectorat, la concurrence des réseaux sociaux et le tarissement des ressources financières issues de la publicité. En Algérie, tous les médias – publics et privés – subissent, d’une façon ou d’une autre, les contrecoups de cette crise.
Dans ce marasme, la pandémie a eu l’effet d’un électrochoc notamment au sein de la presse papier qui compte officiellement 181 titres. Le lectorat « classique » étant difficilement accessibles à cause du couvre-feu et des mesures de confinement imposés par les autorités, plusieurs quotidiens ont décidé de limiter le nombre de pages imprimées et de renforcer leurs éditions électroniques. La mutation vers le digital, qui aurait dû se dérouler dans un contexte plus serein dès 2010, s’est vue imposer presque par la force, dans un délai de quelques semaines. Bien sûr, cette migration doit se faire sur deux espaces bien distincts mais intimement liés : sur le site du journal et sur les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook et à un degré moindre sur Tweeter. Sauf que la concurrence est rude dans l’espace digital. Télévisions, radios, périodiques généralistes et spécialisés, blogs, groupes… tous se livrent une bataille acharnée pour être vu et arracher un « like ».
Fait exceptionnel dans l’histoire de la presse et de la communication, tous ces médias n’abordent qu’un seul et même sujet depuis plus de deux mois : le Coronavirus. Ils ne font que le décliner sous différents angles : sanitaire, économique, sociétal, environnemental. Il est question de disponibilités de bavettes, de la faillite de compagnies aériennes, de livraison à domicile, de violences familiales étouffées par le confinement, de sport à la maison, de mesures à prendre lors du « déconfinement ». Mais il est aussi question d’intox, de fake news et de théories complotistes autour de la création du SARS-CoV-2.
Face à ce flux important d’informations, les lecteurs sont souvent perdus. Les quelques mécanismes qui régulent le paysage médiatique algérien disparaissent instantanément dès que les médias se retrouvent dans l’espace digital. La crise du Coronavirus pourrait être l’occasion de lancer des débats dans le but de mettre en place de nouvelles règles pour développer et organiser le secteur. A commencer par la possibilité de trouver des ressources financières. Les journaux algériens sont actuellement incapables de monétiser les informations qu’ils publient sur Internet à cause de l’absence de plateformes de e-banking et de m-banking. La question de la protection de la propriété intellectuelle en matière de droits d’auteur et d’image est totalement absente.
Le gouvernement algérien, à travers le ministère de la Communication, a affiché sa volonté de « réformer le secteur » afin d’aboutir à une « presse professionnelle et responsable ». Ce processus de réforme, qui a été lancé début mars, doit s’appuyer sur une dizaine de « chantiers ». Cependant, le risque serait d’engager une large réforme sans débat d’idées et en l’absence d’organisations représentatives des professionnels de la presse. Il est nécessaire d’agir de façon à mettre en place un climat propice pour le développement du secteur, basé sur le respect des règles universelles de déontologie, les principes de protection des journalistes et un marché ouvert à l’ensemble des médias. La presse algérienne sortira certainement affaiblie de la crise sanitaire, mais sans liberté et crédibilité elle ne résistera pas à la crise économique.
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Tarik Hafid, journaliste, Alger
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