Feux de forêts en Algérie: causes, conséquences et solutions
Photo: Sofiane Bakouri
En Algérie, un bilan très lourd a été enregistré. Les feux de forêt ont ravagé plus 89.000 hectares à travers 35 wilayas du pays où un total de 1.186 foyers d'incendie a été enregistré (1) causant la mort d’au moins 90 personnes, parmi lesquels 33 militaires, selon divers bilans des autorités locales et du Ministère de la défense.
Les forêts ont besoin de feu
Tout d’abord, il est intéressant de rappeler qu’en temps normal, les forêts ont besoin de feu. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces derniers sont aussi vitaux pour la forêt que le soleil et la pluie. Les feux de forêts permettent d’éliminer les arbres les plus vulnérables aux insectes au même titre qu’aux maladies. Ils favorisent également la croissance des jeunes plantes en produisant des ouvertures permettant au soleil de les atteindre. Certaines espèces de conifères ont même besoin de la chaleur des incendies pour ouvrir leurs cônes et libérer les graines qui donneront, à leur tour, naissance à de nouveaux arbres.
Ceci dit, les feux de forêt, qui font partie des perturbations naturelles et essentielles pour une nouvelle croissance, sont en principe d’origine naturelle. Ceux-ci ont pour origine la « foudre » et représentent moins de 10 pour cent des départs de feux dans le monde. En revanche, 90 pour cent des départs de feux de forêts sont d’origine humaine. Parmi les sources des départs de feux les plus fréquentes nous citons les actes de malveillance, les travaux forestiers particuliers et agricoles, diverses imprudences, le dépôt d’ordures, les reprises d’incendies, etc.
Si la forêt se régénère normalement après un incendie, le passage d’incendies successifs peut compromettre sa pérennité. La situation climatique actuelle présente une autre difficulté à la régénération des forêts. L’absence d’une régénération peut être expliquée par l’absence de conditions favorables à la germination des graines, soit parce que les semenciers ne produisent pas de graines fertiles (2) ou bien à cause du manque de précipitations.
La fréquence des feux est, quant à elle, une variante très importante dans cette équation. Si le cycle de passage de feu est inférieur à 30 ans, ceci peut conduire à une régression progressive d’une forêt qui se transforme en une garrigue, qui est une végétation broussailleuse caractéristique des paysages méditerranéens.
Cependant, il serait légitime de se demander ce qui rend les feux de forêts non seulement plus fréquents, mais aussi plus violents et remarquablement incontrôlables.
Il se trouve que les incendies de forêts sont fréquents durant la saison sèche qui s’étend de début juin à fin octobre de chaque année. Durant cette période, la végétation est confrontée à un stress hydrique. Les plantes perdent une quantité importante de l’eau absorbée par le processus de l’évapotranspiration, afin d’atteindre un certain équilibre de température. La végétation se dessèche et constitue ainsi un excellent combustible pour les feux.
La Méditerranée « un point chaud » du réchauffement
Alors que notre monde observe à l’heure actuelle des bouleversements climatiques très importants, l’augmentation de la température moyenne de la planète ne cesse de grimper. La Méditerranée ne fait pas exception, d’autant plus que, d’après un nouveau rapport de l’ONU, cette région devient « un point chaud » du réchauffement climatique. Le rapport provisoire du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié au mois d’août, est par ailleurs aussi alarmant. (3) Au cours des prochaines décennies, les températures devraient augmenter plus vite autour de la Méditerranée comparativement au niveau mondial. En conséquence, la surface de forêts brûlées pourrait doubler ou tripler, en fonction des efforts faits pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Avec de grandes surfaces de végétation asséchée, la propagation des feux sera plus rapide et l’intervention plus difficile. Nous serons donc confrontés à un cercle vicieux : les feux de forêts sont aggravés par le réchauffement climatique et libèreront davantage de dioxyde de carbone (CO2), qui à son tour, accroit le réchauffement climatique.
L’impact des feux de forêts
Nos forêts, devenues hautement exposés aux aléas de réchauffement climatique, sont pourtant nos meilleures alliées pour atténuer les effets de bouleversement de climat. Celles-ci constituent ce que nous appelons « les puits de carbones », qui absorbent et piègent le carbone, réduisant par la même sa concentration dans l’atmosphère. Les écosystèmes forestiers offrent d’autres services connus sous le nom « des services écosystémiques ». Des services gratuits qui nous permettront non seulement d’atténuer les effets des changements climatiques, mais nous aideront également à élaborer des plans d’adaptation basés sur leurs innombrables services.
Les feux de forêts entraînent d’autres impacts sur l’environnement et la santé, notamment les effets sur la composition et la structure du sol, les micro-organismes, la dynamique de la végétation, la faune, les paysages, le cycle de l’eau, la qualité de l’eau, etc. Il y a aussi le risque d’érosion. La mise à nu des sols et la modification de leur structure par les incendies augmentent ce risque, particulièrement au niveau des terrains à forte pente comme c’est le cas dans les montagnes.
Les effets sur la santé physique et mentale sont nombreux. Les particules fines qui se trouvent dans les fumées générées par les incendies rendent la respiration difficile et peuvent aggraver les maladies cardiaques et respiratoires. (4) Les effets des feux de forêt sur la santé mentale sont également une préoccupation majeure. Les évacuations inattendues peuvent être traumatisantes, mettant ainsi les habitants dans des situations de stress élevé pendant de longues périodes; ce qui peut entraîner des répercussions importantes sur la santé mentale. (5)
Les incendies de forêts engendrent aussi un coût économique conséquent. Celui-ci est divisé en coûts directs, tels que la lutte contre le feu, les dommages matériels (habitations, infrastructures, véhicules), les forêts détruites, la perte et la détérioration des services écosystémiques, etc., et des coûts indirects tels que la perte des usages, la restauration de la végétation et des paysages, l’incidence sur l’économie du tourisme et des loisirs.
Que faire alors pour prévenir les feux de forêts ?
Afin de s’adapter à des feux qui seront éventuellement plus fréquents et intenses, il faut tout d’abord mettre en place une stratégie de prévention contre les incendies. Cette stratégie doit être pensée comme un système intégrant différents secteurs. La sensibilisation à travers l’intégration de la société civile est primordiale. Des cartographies des zones sensibles aux feux de forêts aideront à prévoir les risques. Les nettoyages saisonniers et les coupes forestières linéaires (coupe-feu) sont des interventions importantes avant le début de la saison de sécheresse.
Au regard de la situation actuelle, la formation des forestiers et l’acquisition de matériel de surveillance et d’intervention sont des priorités les plus urgentes.
Et après les feux de forêts ?
Contrairement à la réaction immédiate des citoyens appelant à reboiser les parcelles incendiées, les spécialistes préconisent d’attendre entre une année à trois années pour donner le temps à la forêt de se régénérer naturellement. Ainsi, il faut se garder d’actions trop hâtives et irréfléchies. Il faut commencer par ce qui est urgent de faire après l’estimation des dégâts. Comme l’évaluation et la prévention des risques d’érosion, le contrôle des risques sanitaires (particules fines, cadavres d’animaux…), le recépage des feuillus, puis la coupe des conifères endommagés en fonction de l’audit des spécialistes.
Comme mentionné plus haut, à cause des changements climatiques, les feux de forêts risquent de devenir plus fréquents et plus intenses dans les pays au pourtour méditerranéen. Il est donc primordial de mettre en place une stratégie de prévention et de lutte contre les incendies de forêt qui sont classés parmi les dix risques majeurs inscrits dans la loi 04-20 du 25 décembre 2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable. Et ce, en commençant par la sensibilisation et la formation des citoyens dans le cadre d’un éventuel plan d’adaptation national aux changements climatiques. Car, vivre avec les catastrophes naturelles, dont font partie les incendies de forêts, peut devenir une partie de notre vie quotidienne si rien n’est fait à travers le monde pour agir réellement contre les changements climatiques dont les lourdes conséquences sur l’humanité et la planète terre sont désormais une réalité concrète.
(1) https://www.aps.dz/economie/126507-agriculture-plus-de-89-000-hectares-ravages-par-les-feux-de-foret
(2) https://www.ajol.info/index.php/ijbcs/article/view/65578
(3) https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/
(4) https://www.gov.mb.ca/health/publichealth/environmentalhealth/smoke.fr.html
(5) https://atlasclimatique.ca/les-feux-de-foret-leau-et-notre-sante
Zineb Mechieche est ingénieure de recherche et spécialiste de la communication environnementale. Elle est diplômée en master en climat et médias.
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Bureau Algérie
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